• 21.05.2022 - 30.06.2022
  • Exposition - Art Contemporain

Viktoryia Bahdanovich

L’artiste biélorusse Viktoryia Bahdanovich a été emprisonnée pour avoir participé à une marche de protestation. Son travail, dans le domaine des arts plastiques, parle de cette réalité et plus globalement de la liberté d’expression qu’elle interroge aussi à travers l’histoire de l’art. Elle sera en résidence à neimënster pour poursuivre ses recherches dans le cadre du programme Odyssée soutenu par l’association des Centres Culturels de Rencontre.

« Au cours de mon séjour de 14 jours dans une prison biélorusse, j’ai été confrontée une fois de plus à la dureté de la vie sous la dictature de mon pays. Le temps intense passé en prison et le fait d’être témoin des milliers d’innocents emprisonnés m’ont fait m’interroger sur l’importance d’associer l’intimité et l’esthétique. Mes préoccupations concernant les injustices vécues en Biélorussie m’ont également fait m’interroger sur les points communs et les différences entre l’intimité et la censure. Il est intéressant de réfléchir à la question générale de l’intimité face à la réalité de la détention, où de nombreuses personnes sont confinées dans de très petits espaces.

Pendant cette résidence, je me baserai sur mon journal de prison et sur des croquis pour créer environ 5 groupes d’installations. Ces installations reflètent la situation de 16 filles vivant ensemble dans une cellule de prison. Elles consisteront, par exemple, en l’imitation d’un mur au-dessus de l’évier avec des gouttes qui s’en échappent. D’après mes souvenirs de détention, lorsque j’allais me laver le visage, je voyais des gouttes de condensation sur les murs brillants. J’ai appris que la brillance provenait du manque de ventilation et de la respiration infectée par le covide des 16 filles présentes. Une autre installation est une sculpture abstraite et menaçante d’où sortent des poutres menaçantes, rappelant le squelette glacial à trois niveaux d’un lit sur lequel séchaient des sous-vêtements en dentelle. On a même caché des lettres dans cette sorte d' »enveloppe »-joint. La couleur orange sur une table de couleur taupe était la seule source de couleur visible dans la pièce où j’étais détenu. Sans ces petits aperçus d’esthétique et l’intimité, selon moi, extrême partagée d’une pièce pleine de femmes partageant leurs expériences quotidiennes dans ce petit espace clos. L’intimité était si profonde que nous faisions même des blagues en faisant pipi (les « toilettes » ne sont qu’un trou dans le sol, entouré d’un petit mur). Il n’y avait pas d’intimité dans notre espace commun, ce qui nous obligeait à renforcer les liens entre nous. Sans ces relations intimes, nous n’aurions pas été capables de survivre.

Ce projet semblait être l’occasion idéale de partager la réalité de l’esthétique bélarussienne. Au lieu des caractéristiques et des symboles nationaux distinctifs, je veux partager la perspective des routes et des tunnels grossièrement endommagés, remplis d’icônes ensanglantées du président et de filles anormalement maigres en tenue nationale. Dans ces circonstances, il n’y a pas d’esthétique accessible ou de niveau de sophistication. Au début, les citoyens ont compris l’importance de l’art et de l’expression créative dans la vie quotidienne, ils ont répondu pacifiquement, au mieux de leurs capacités, à la terrible violence des autorités. Aujourd’hui, ils doivent reconnaître que l’art créé par cette dictature n’est pas le véritable et pur art bélarussien. En effet, les véritables artistes politiques ont quitté le pays afin de pouvoir survivre, mais cela a également ôté aux gens toute envie de protester. C’est aussi le cas parce que je suis poussé dans un coin où mon art doit être politique, sinon, je rate les occasions de participer à des concours et à des résidences qui soutiennent entièrement mon gagne-pain. »