02.05.2023 - 01.06.2023
exposition | photographie
Café-Crème asbl

Mois européen de la photographie 2023 - Rethinking Identities

Après Rethinking Nature (2021), les commissaires du Mois Européen de la Photographie ont choisi le thème Rethinking Identity pour 2023, mettant l’accent sur le processus de construction de l’identité, en resonnance avec les contenus véhiculés par les réseaux sociaux. Neimënster accueille trois expositions.

« Je suis moi, je suis toi », des trois photographes Eman Khokar, Celeste Leeuwenburg et Aneta Grzeszykowska, s’intéresse au développement des identités à travers la relation mère-fille, que ce soit sur le plan social, culturel, religieux ou professionnel.

« A Room of One’s Own » réunit pour sa part le travail de trois artistes – Cansu Yildiran, Ofir Berman, Imane Djamil – qui résistent face aux conventions imposées par la société, effaçant les frontières entre documentaire et fiction. 

Je suis Moi, Je suis Toi

Céleste Leeuwenburg, Eman Khokar, Aneta Grzeszykowska, Krystyna Dul 

Commissaire : Claire di Felice

Les expériences formatrices – de l’enfance à la maternité – sont essentielles à la construction de l’identité d’une femme. Dans son livre Le deuxième sexe, Simone de Beauvoir affirme avec éloquence que « l’on ne naît pas, mais que l’on devient femme ».  Le processus de construction de la personnalité des filles passe nécessairement par une identification à la mère. Dans une relation mère-fille, les filles, du fait de leur ressemblance physique et de leur proximité, s’identifient à la figure maternelle et vice-versa. Je suis moi, je suis toi présente un portrait intime et personnel de la découverte de soi, composé de photographies et d’installations vidéo d’Aneta Grzeszykowska, Krystyna Dul, Eman Khokhar et Celeste Leeuwenburg, qui abordent toutes des thèmes liés à la relation universelle mère-fille.

La sociologue Nancy Chodorow explique que « les mères considèrent leurs filles comme une extension d’elles-mêmes ». Cette relation a fait l’objet d’une réflexion de la part de nombreuses artistes féministes ayant œuvré dans les années 1960 et 1970, notamment Louise Bourgeois, Valie Export et Mary Kelly, qui ont revendiqué le passage de la maternité au maternage, c’est-à-dire du patriarcat au maternage féministe.

En tenant compte de ces idées féministes, l’artiste Aneta Grzeszykowska observe comment ces éléments sont essentiels pour forger l’identité d’une femme. Les œuvres représentent la fille de l’artiste, Franciszka, jouant avec une poupée grandeur nature de l’artiste elle-même. En s’attaquant aux rôles sexués imposés par la société, la série intitulée Mama déplace la dynamique du pouvoir vers l’enfant. Ici, la fille prend soin de l’adulte comme elle le ferait d’une poupée, et le parent devient l’objet sur lequel l’enfant projette un fantasme d’adulte Proche de la pensée de la philosophe Luce Irigaray, Grzeszykowska souligne l’importance de rompre avec le discours répressif selon lequel la femme n’est perçue que comme une mère, et pour la fille de la reconnaître comme une femme, en prenant finalement ses distances avec la toute-puissance maternelle.

Dans la série Becoming, l’artiste Krystyna Dul réfléchit à sa relation avec son partenaire et à la nature transformationnelle de son statut de mère depuis la naissance de leur fille. Ces scènes intimes, éclairées de façon spectaculaire, qui rappellent les représentations historiques de la Vierge à l’Enfant, exposent le caractère fusionnel de leur relation, dans laquelle la mère et l’enfant forment une unité intense. Dans ses scènes de baignoire, elles sont en symbiose, rappelant le temps que l’enfant a passé dans le ventre de sa mère.

Alors que les œuvres de Grzeszykowska et de Dul commentent la relation mère-fille du point de vue maternel, Eman Khokhar et Céleste Leeuwenburg examinent individuellement les questions de filiation, naviguant entre héritage culturel et familial. Après un voyage au Moyen-Orient, Eman Khokhar s’est retrouvée à renouer avec sa mère et ses racines. Son imagerie superposée, combinant des motifs culturels tels que le foulard et les perles de prière de sa mère et un autoportrait obscur, présente un voile qui à la fois cache et révèle leurs similitudes et leurs différences. En fait, ces juxtapositions soulignent ce qui renforce leur lien.

La série de Leeuwenburg, From what she told me, and how I feel, est le résultat d’une collaboration familiale et d’un dialogue entre le passé d’une mère et le présent d’une fille. Faisant référence à un film féministe historique réalisé dans les années 1970 par sa mère sur l’artiste argentine Delia Cancela, le travail de Leewenburg prend une tournure contemporaine en  combinant vidéo et images fixes avec une chorégraphie et des costumes flamboyants. À travers cet hommage, elle renoue, s’engage et s’aligne sur sa mère tout en créant une œuvre qui lui est propre et qui construit son identité d’artiste et de femme d’aujourd’hui.

Je suis moi, je suis toi cherche à réunir les différentes perspectives entourant la dynamique mère-fille, à la fois stimulante et inspirante, à travers un prisme social et culturel, en guise de clin d’œil aux femmes qui nous entourent, à celles que nous sommes aujourd’hui et à celles que nous deviendrons demain.

Claire di Felice

A Room of One’s Own

Cansu Yildiran, Ofir Berman, Imane Djamil

Commissaire: Yasemin Elci

«La liberté intellectuelle dépend des choses matérielles. (…) Les femmes ont eu moins de liberté intellectuelle que les fils des esclaves athéniens. Les femmes n’ont donc pas eu la moindre chance d’écrire de la poésie. C’est pourquoi j’ai tant insisté sur l’argent et une chambre à soi.»

Virginia Woolf – A Room of One’s Own

L’exposition tire son nom du livre A Room of One’s Own écrit par Virginia Woolf, l’une des romancières modernistes les plus remarquables du XXe siècle. Woolf y évoque les inconvénients d’être une femme dans le monde de l’art dominé par les hommes – en particulier sur la scène littéraire – et propose des moyens de faire ressortir la créativité des femmes à travers des histoires qui oscillent entre réalité et fiction.

L’exposition A Room of One’s Own réunit des artistes qui résistent aux conventions et transcendent les frontières dans leurs travaux photographiques documentaires qui s’apparentent à la fiction. Chaque artiste cherche les traces de son identité dans la mémoire collective de sa ville natale, les traditions et les récits du passé.

 

Cansu Yildiran (née en 1996, Turquie) a photographié sa ville natale de Çaykara, dans la région de la mer Noire, où la tradition interdit aux femmes de posséder une maison ou des terres. Même si la migration saisonnière fait encore partie de la culture des habitants de la région, dont la plupart sont des descendants grecs, les femmes doivent relever d’autres défis pour conserver un sentiment d’appartenance et d’identité. À travers la série Dispossessed (Dépossédées), Yildiran se lance dans un voyage personnel à la recherche de ses racines tout en posant des questions sur la dynamique du pouvoir dans une société en constante évolution.

Ofir Berman (né en 1991, Israël) saisit la vie quotidienne d’une communauté qui défie le temps et l’espace au milieu d’Israël, l’un des pays les plus avancés sur le plan technologique. Les habitants de Mea Shearim résistent aux normes du 21e siècle. Ce quartier isolé invente ses propres règles. En errant dans Mea Shearim, Berman se retrouve parmi de « vieux » enfants et de « jeunes » adultes – ou comme si les adultes étaient piégés dans des corps d’enfants. En tant qu’étrangère, en tant que femme, en tant que photographe, elle ne peut ni se cacher ni se fondre dans cet environnement. L’appareil photo devient son seul lien avec le monde extérieur, où elle a peur d’être remarquée.

Dans 80 Miles to Atlantis, Imane Djamil (née en 1996, Maroc) photographie les habitants de la côte historique de la ville saharienne de Tarfaya qui vivent parmi les fantômes du passé. Les vestiges de l’architecture qui deviennent son terrain de jeu mêlent le passé colonial et le présent postcolonial de sa ville natale. Les ruines reviennent à la vie dans les scènes de Djamil, qui ressemblent à des images de film, brouillant ainsi les frontières entre réalité et mythe. L’artiste critique l’apathie de l’État à l’égard de la préservation de son patrimoine culturel. 

(traduit de l’anglais par Paul di Felice)

  • Entrée gratuite

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